mardi 6 octobre 2015

♥♥ L’Été de l'infini de Christopher Priest

L’Été de l'infini est un recueil de Christopher Priest paru chez Le Bélial, dans la collection Kvasar. Cette collection a pour particularité de proposer du contenu supplémentaire, permettant au lecteur d'avoir entre les mains une œuvre très complète. Ces douze nouvelles de Priest s’accompagnent donc d'une préface de Xavier Mauméjean, de deux entretiens avec l'auteur réalisés par Thomas Day en 2005 et 2015, du passionnant essai Magie, l'histoire d'un film sur l'aventure de l'adaptation du Prestige et d'une bibliographie. J'en ai pris plein les mirettes, quel bonheur !

Héritier littéraire, à l’image de son compatriote J. G. Ballard, de la new wave britannique qui révolutionna les littératures de genre au tournant des années 70, on doit à Christopher Priest de nombreux incontournables — Le Monde inverti, La Fontaine pétrifiante, Le Glamour, ou encore L’Adjacent. Son roman Le Prestige, publié en 1995, lauréat du World Fantasy Award, a été porté à l’écran en 2006 par Christopher Nolan. L’Été de l’infini réunit les meilleures nouvelles de Christopher Priest publiées sur cinquante années de carrière, soit douze textes, dont quatre inédits. Un long entretien, le témoignage de l’aventure que fut l’adaptation du Prestige au cinéma, ainsi qu’une bibliographie exhaustive, complètent l'ensemble.

La préface de Xavier Mauméjean est intéressante et bourrée de détails qui raviront les fans de Priest comme ceux qui le découvrent, cependant je conseille à ceux qui préfèrent lire des textes en étant vierges d'a priori d'en faire la postface, car elle est bavarde sur les nouvelles à suivre. Cela vaut également pour les paragraphes suivants, d'ailleurs ;-)

Parlons du recueil. Voici une sélection de douze des meilleures nouvelles de Priest. On y retrouve ses thèmes de prédilection : la (les) réalité(s) et ses (leurs) faille(s), la guerre, l'amour, les ambiances gothiques... Une seule d'entre elles m'a laissée dubitative, je vais donc m'en débarrasser dès maintenant : Les Effets du deuil, où il aborde le manque d'amour dans une atmosphère gothique et pourtant contemporaine, est, à part ce détail, un texte fantastique du plus grand classique. Si on ne m'avait pas dit que c'était écrit par Priest, je n'aurais pas pu deviner. Alors que pour les autres nouvelles, si on connait un peu le bonhomme, on identifie tout de suite et avec plaisir sa plume.

L’Été de l'infini ouvre le bal des nouvelles à l'ambiance glaciale (pourtant on parle d'été, vous comprendrez en la lisant), où la réalité prend un tour étonnant. 1940, un jeune homme dans Londres a le don de voir d'étranges scènes figées, notamment un avion de guerre allemand se crashant dans la Tamise. Autour de ces tableaux, il repère ce qui ressemble à des touristes, appareils photos à la main... Cette nouvelle introduit parfaitement le recueil, elle a ce qu'il faut d'irréalité et de magie Priestienne qui vous emporte tout de suite, avec un petit côté Fringe des bons épisodes. Elle fonctionne d'ailleurs en écho avec celle qui le clôt, Errant solitaire et pâle, qui a reçu le Prix (mérité) Bristish Science Fiction de la nouvelle en 1979. Son jeune protagoniste a l'habitude d'aller se promener avec ses parents dans un parc, près du Canal du Flux, traversé par trois ponts : Hier, Aujourd'hui et Demain. C'est la balade du dimanche, franchir un pont et se retrouver hier, ou demain... Ce futur où l'on a envoyé un vaisseau dans l'espace et où l'on a canalisé le Flux ressemble pourtant étrangement à la fin du 19è siècle par la façon de vivre et le côté romantique.  Va se nouer une bonne intrigue autour du paradoxe temporel (qui je le découvre s'appelle le paradoxe de la boule de billard). Excellente nouvelle qui en concluant ce recueil donne immanquablement envie de recommencer la lecture des nouvelles au début dans un cercle sans fin. (J'aime Priest, vous en doutiez ?) Dans le style de ces deux nouvelles marquantes, on trouve Finale, sorte d'uchronie personnelle sur les dernières secondes avant la mort, ou encore la courte Cage de Chrome, où l'on rétropédale dans le temps sur fond d'opéra et dont j'ai tiré cette chouette citation :

"Je m'échinais à me remémorer ce qui allait venir."

La Tête et la main était la nouvelle gratuite de septembre chez Le Bélial. Le choix est intéressant, à la fois à contre courant de ce qu'on peut imaginer de la sensibilité de Priest mais certainement représentative de son idée de la société du spectacle. Elle met en scène un des derniers tabous, à travers la vie et les représentations d'un artiste jusqu’au-boutiste. La réaction mi-horrifiée mi-voyeuse du public parfait cette nouvelle glauquissime, glaciale, courte et bonne. Pour rester du côté glauque de la Force, je songe à Haruspice, un texte lovecraftien autour du thème de la maladie, de l'hérédité et de la perception de la réalité (sans déc !). Le personnage principal, nommé James Owsley (bizarrement le même nom qu'un auteur de Comics américain ayant décidé de prendre le pseudonyme Christopher Priest et rendant la vie compliquée à notre auteur favori, qui se venge clairement ici !), est persuadé de sauver le monde en mangeant des boulettes (qui vont feront dire beurk bien assez tôt donc je ne vous dis pas ce que c'est). Un jour il découvre un avion allemand figé à quelques secondes du crash dans son jardin. A l'intérieur un homme lui fait signe... J'ai beaucoup aimé la chute, qui a quelque chose de kafkaïen.

Je ne vais pas vous parler en détail de toutes les nouvelles, quand je vois ce que j'ai déjà écrit... Il reste Transplantation, un très beau texte d'amour, de questionnement de la réalité et d'éthique, Rien de l'éclat du soleil sur la guerre et la peur, Le Monde du temps réel sur une expérience sociologique d'enfermement, et La Femme dénudée, chemin de croix d'une femme condamnée dans une société moderne mais dystopique où les femmes n'ont que très peu de droits. Cette dernière est à mettre en lien avec Voir l'homme invisible de Silverberg, selon la préface, et j'ai bien envie de la lire ! Enfin, Le Baron qui rappelle l'Homme Transporté du Prestige, est peut-être la seconde nouvelle la moins forte du recueil, mais l'ambiance rappelle vraiment les tours de nos deux illusionnistes préférés, et nous ramène au sujet du double cher à l'auteur.

Le Prestige est d'ailleurs au centre de l'essai publié dans cet ouvrage, Magie, histoire d'un film, écrit par Priest. Il y relate comment il a vécu l'adaptation de son roman au grand écran par Christopher Nolan. Bon là je dois vous dire : J'ADORE le film Le Prestige. C'est un de mes films préférés. Alors certes j'avais deviné le truc à la moitié du film, mais j'ai dû le voir une dizaine de fois, l'offrir, le montrer, etc... Puis ensuite j'ai lu le roman de Priest, et j'ai pu voir comme les deux œuvres étaient différentes. Les bases sont là, mais ensuite Nolan s'est éloigné pour produire autre chose. J'ai été étonnée à la lecture de l'essai de voir à quel point Priest n'a pas été impliqué dans le scénario, dans la réalisation, dans le casting, bref dans aucun aspect du film, à part l'important choix du réalisateur (Priest reconnait ses thématiques dans celles de Nolan, notamment au niveau de la perception de la réalité). D'une certaine manière tout cela se ressent vraiment quand on compare les deux œuvres, et vers la fin de l'essai, Priest le fait. C'est juste fascinant.

"Des noms de stars ont même été attachés au film. Kenneth Branagh en Borden, Tom Cruise en Angier." (OK en lisant cette phrase, j'ai failli mourir étouffée, je vous la mets juste pour le fun)

"Je sentais en Nolan un esprit créatif très proche du mien. Apparemment, il pensait de la même manière que moi, il attaquait la narration avec la même indifférence pour l'ordre chronologique, il nourrissait le même intérêt pour la réalité, la perception et leur manque de fiabilité. Il avait du talent, on ne pouvait le nier, mais ce qui m'intéressait c’était la nature tordue, inhabituelle de son talent."

"Il n'y a pratiquement pas dans tout le film une réplique ou un instant de l'action qu'on retrouve mot à mot dans le livre, mais l'ensemble est fidèle à l'esprit du roman, à son histoire et à son ambiance." (Ce qui ne l'empêche pas de critiquer un paquet de trucs dans cet essai, faites-moi confiance)

Je me suis éclatée en lisant cet essai, d'une traite jusqu'à 1h du matin. Bonheur total. (Seul reproche : les notes à la toute fin du texte et non en bas de page, dommage, c'est assez pénible !)

Ce livre contient aussi deux entretiens entre Priest et Thomas Day, l'un de 2005 et l'autre de 2015, intitulés La Suprématie de la maturité. Priest y aborde ses inspirations, son œuvre, sa façon de voir le monde. On découvre un homme qui ne mâche pas toujours ses mots, pour notre plus grand plaisir. Enfin, une bibliographie complète réalisée par Alain Sprauel conclut le tout.

Pour résumer, vous avez compris, j'ai pris mon pied à la lecture de L’Été de l'infini de Christopher Priest. Publié chez Le Bélial dans la collection Kvasar, l'ouvrage est complet : une préface très documentée, douze des meilleures nouvelles de l'auteur, deux entretiens à dix ans d'écart entre Thomas Day et lui, un fascinant essai sur l'adaptation du Prestige au cinéma et une bibliographie exhaustive. Un pur bonheur pour un livre qui me restera longtemps en mémoire et gagne une place d'honneur dans ma bibliothèque.

Priest sur le blog.
Lecture n°1 pour le challenge Prix littéraires de l'Imaginaire
Lecture n°3 pour le challenge CRAAA

L’Été de l'infini
de Christopher Priest
Le Bélial - Septembre 2015
512 pages
Traduction de l'anglais par Michelle Charrier
Traduction harmonisée par Pierre-Paul Durastanti
Illustration de couverture par Aurélien Police
Papier : 25€ / Numérique : 11,99€

9 commentaires:

  1. Attribution de deux cœurs + lecture de une traite + chouette chronique... Tout est fait pour le convaincre :) on verra bien si je trouve Priest aussi bon nouvelliste que romancier ;) (et je n'ai toujours pas vu le film Le prestige, oups. Mais j'ai lu le livre)

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  2. Ben ça monte jusqu'à combien de coeurs ici au maximum ?

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  3. @Acr0 : il faut voir le film, avant de lire l'essai, c'est vraiment super !

    @Li-An : et bien... deux cœurs ;-)

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  4. @Gromovar : non je ne pense pas

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  5. 4 nouvelles inédites... Donc pas éligible.

    Punaise tu donnes vraiment envie de le sortir vite de ma pàl.

    Priest est un Dieu ^^

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  6. @Cornwall : c'est un peu plus compliqué que ça pour ce livre, car il devrait pour être éligible selon nos critères avoir 2/3 d'items inédits, ce qui inclus le rédactionnel également, notamment l'essai est inédit par exemple, ainsi que la préface, un entretien, etc. Mais malgré cela il n'est pas éligible, car il n'a que 50% d'items inédits. Voilou :p

    Sinon il faut lire ce bouquin, indispensable !

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  7. Dans ma liste de courses pour les Utos. :)

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  8. @Lorhkan : excellente idée !

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